Petits cailloux jetés dans le fleuve pour faire des ronds dans l'eau

 

 

Bon. Donc, nous sommes au début d'une année sociale; la civile commence en septembre.

Il est 3 heure de l'après-midi, et je suis à la tequila. Je me refuse de recopier un texte "les pitons du hamac" et même, un divertissement : "la sirène aux deux jambes". Trop puéril.

Je cherche à mettre de l'ordre dans mes idées, pour pouvoir, au moins en énoncer une ou deux.

Par exemple il y a deux manières, disons "révolutionnaires", de voir la pérennité (toujours moins que longue) ou la démolition (qui laisse toujours des déchets) de cette forme actuelle de l'organisation sociale des "hommes", et corrélativement, deux manière d'organiser la potentialité qu'elles contiennent de faire autre chose de leur vie que ce qu'ils sont en train d'en faire.

L'une est la manière situationniste, l'autre la manière biopsychique. Il me semble qu'il doit y avoir une faille commune à toute deux qui servirait fort bien à en faire la jonction.

La manière S tient compte de la position sociale de l'individu et de sa communauté dans un contexte précis de rapports économiques hégémoniques (État, marchandise, argent, spectacle, salariat);

L'autre, la méthode R (comme Reich, par exemple) considère que l'homme ne sera libre que du moment où il acceptera la libre circulation de son énergie, du plaisir de vivre, dans lui-même et ailleurs, de sorte qu'il organise la société à son image.

Nous avons donc d'une part : les hommes changent leurs conditions matérielles d'existence par l'appropriation de l'usage de leur temps pour vivre librement; et d'autre part l'homme ne pourra se libérer de l'immobilité de ses émotions sans d'abord se guérir de la peur qu'il a de celles-ci.

Il y a là deux choses qui se confrontent, mais qui, pourtant, veulent arriver au même "but" sobre qui est d'en finir avec cette société du Capital sans que s'instaure, en remplacement, une organisation pire encore.

Je ne sais pas si je m'y prends de la bonne façon. Je peux dire que, ici, la névrose est une production de la Société et des relations qui y sont entretenues; là les relations perdues sont des produits de la névrose. En fait, une dichotomie. Mais ce qui est manifeste dans un point comme dans l'autre, c'est la peur de bouger quoi que ce soit de réellement important, c'est-à-dire qui modifie sans retour cet État de fait : la loi marchande. La marchandise est l'aliénation du névrosé et la névrose pense comme une marchandise.

Cela revient, à peu près, à cette découverte du 24 décembre 95, que j'ai retrouvée, quelques jours plus tard ailleurs, qui est cette autre dichotomie entre le système nerveux central et le système nerveux autonome.

L'adaptation de la vie croissante aux conditions de son existence, la confrontation de ses désirs et de leur réalisation, parcours du plaisir et adaptation aux moindres frais douloureux, est un souple équilibre entre les charges-décharges de chacun des deux systèmes nerveux pour lui-même d'abord, et, ensuite, pour l'ensemble de l 'être. Il y a la théorie du plaisir, mais il manque la mécanique du plaisir.

Ainsi, j'ai supposé que chacun des ces deux systèmes nerveux possède une manière de régulation, d'intégration heureuse, sinon indifférente, des contraintes quasi insurmontables qui vont à son encontre. Pour détail, l'un de ces moyens est le sommeil paradoxal, puisque, par contraire, on sait que celui dont la régulation faute, est celui qui dort le moins paradoxalement. Or, la contrainte des horaires, tout comme le décalage excessif du temps des montres d'avec celui du monde, du soleil, du bain de sa lumière et de sa chaleur ou leurs absences, la nuit, empêchent le sommeil, surtout après l'insomnie. Là, est un moyen pratique détaillé (je ne fais pas un livre) de l'organisation sociale de manifester son oppression sur l'homme comme être vivant, capable de dissoudre, par un moyen propre au vivant et pour son plus grand plaisir, cette anxiété très souvent ressentie comme étrangère.

Un autre moyen est la détente volontaire : s'allonger et se détendre. Mais ce moyen, pour aussi efficace qu'il soit, permet de supporter la source de déplaisir en l 'évitant, en accommodant son temps aux exigences du temps salarié et non pas, comme dans le désir assouvit de dormir qui dénigre en pratique l'organisation du temps que cette Société impose à l'homme, en le refusant, tout bonnement. Lorsque je suis né, je suis né moi, dans une Société à laquelle je ne suis que susceptible de m'accorder avec assez de satisfaction et , elle n'est pas de mon goût.

Le système nerveux central est le siège de la conscience. Le système nerveux autonome est à la fois le siège des émotions et l'intermédiaire entre la conscience et le ça. Intermédiaire veut dire : autant en relation avec le système nerveux central, autant en relation avec le ça, le corps vivant qui englobe tout.

Le conflit actuel entre ces deux systèmes nerveux, nous pouvons le retrouver de la même manière dans la Société : l'organisation du salariat, par exemple, fut-elle artisanale ou libérale, impose à l'individu des contraintes qu'il lui est difficile de "gérer"; ces contraintes affaiblissent le vivant de cet individu qui s 'épuise à s'adapter et le rendent incapable d'une critique en acte par l'apprentissage démesuré au subir. Ce subir est acceptable tout simplement par ce qu'il est vécu de l'intérieur, tout comme la conscience du salarié est simple conscience de soi comme marchandise, c'est-à-dire qu'il n'a pas même la conscience d 'être un homme; d'un point de vue extérieur : d'un homme qui vend son temps au salariat, qui n'a aucune emprise sur sa vie, sur son vécu autrement que comme marchandise.

Comment faire autrement lorsqu'on se sent seul à penser un peu différemment, pourrait-on se dire, sinon que de sombrer dans la névrose? C'est-à-dire une contradiction entre les exigences du système nerveux central et celles du système nerveux autonome? Hum? La sensation du temps qui s 'écoule est de l'ordre du système nerveux autonome et le seul animal qui en a conscience (système nerveux central) et peut la différer est l'homme.

Il y a donc quelque chose d 'étrange, dans cette domination de l'homme par l'homme, du salariat et sa clique (encore que je puis être vieux jeu en monopolisant les attentions sur ce seul fait), la marchandise, l'État, l'argent, le Capital, quelque chose d'étrange et de surprenante. Aussi étrange et surprenante que cette possibilité de modifier le ça par l'intermédiaire du système nerveux autonome trop soumis au système nerveux central. On disait, il y a un siècle ou deux, que c'est à quarante ans qu'on voit au visage, ou à la chevelure, ce qu'est réellement un homme, et ce qu'il a fait de sa vie : on disait, qu 'à cet âge "un homme est fait". C'était une autre époque; maintenant on peut constater que sous de telles contraintes, un homme est fait vers ses vingt-cinq années d'existence, parfois même plutôt. On peut le saisir aussi à la dose de psychotrope qu'il ingurgite journellement.

Cette faculté qu'a le système nerveux en général de détendre les n'uds de contradiction, lorsqu'on lui en donne le temps et la possibilité, amène à évoquer cette aptitude à provoquer soit la perception de ces n'uds, soit d'inciter plus ou moins doucement la reprise en main du système nerveux autonome sur le ça de sa domination excessive par le système nerveux central, puisque l'homme est sa propre matière; autrement dit : de démarchandiser le temps vivant.

J'en suis au choix des exercices possibles; je suggère ceux qui vont suivre.

Ces exercices sont susceptibles, pratiqués à doses homéopathiques (entre une demi mini et trois maxi minutes en tout et par jour) et longtemps (entre un peu plus de trois et un peu moins de six mois; de 90 minimum à 180 jours), de stimuler cette aptitude à l'auto-dissolution de ces n'uds par le système nerveux en général, alors même qu'on veuille continuer d'aller pointer tous les matins. Mais il faut être assidu et ne pas transiger un seul manque journalier. Il y aura deux vouloirs en confrontation, alors... il faudra comprendre.

Commençons par le plus violent, qui se pratique le matin, à jeun, au dessus d'un lavabo, pour se rassurer. On provoque le réflexe de vomissement, le doigt dans la bouche en expirant, en râlant même. Juste une fois ou deux, pas plus. Cela ne présente aucun danger morphologique, tout comme la masturbation manuelle, et surtout, ne provoque aucune peur. Car la réappropriation de son autonomie par le système nerveux autonome, peut provoquer de la peur qui est de la même nature que celle de la révolte contre le salariat. Il ne s'agit pas d'agir contre cette peur, de faire figure de non-couard : cette appréhension est conséquencielle, il n'y a qu 'à l'accepter et, à la place de cinquante neuf secondes, d 'écourter les exercices à trente et une secondes à ce moment là. Il s'agit de soi.

Un peu moins violent : éternuer par le nez; ne pas bloquer l'éternuement ni à la gorge, ni dans le nez. Au début, il vaut mieux retenir les narines, à cause de l'expansion. Éternuer par le nez est plus bouleversant; ce qui en sort n'est que de l'eau, au bout d'un temps.

Les autres exercices sont plus doux. Ils provoqueront des bâillements, synonyme de détente du système nerveux autonome, des picotements ou de légers étourdissements : on ne va pas plus loin, on perçoit.

Pour les yeux : mettre son doigt vertical devant la naissance de son nez, à une distance d'environ 10 cm et tâcher d'accommoder, de le voir nettement, puis de regarder au loin, là aussi nettement, et ainsi de suite, trois-quatre fois sans se presser.

Haleter rapidement, ou bien amplement provoque des picotements n'importe où.

Remplir ses poumons par "petits coups de pompe" le plus haut possible et se dégonfler à l'aise, ça peut faire des choses vers le bas du corps.

L'inverse : remplir bien ses poumons et les dégonfler par petits coups par la bouche en se servant de sa langue comme d'un clapet : en la portant en arrière puis rapidement en avant de sorte qu'elle bloque l'expiration en se calant tout à coup contre les dents du haut; cela provoque des petits rebonds au diaphragme.

Il faut du temps. Comme ces exercices sont décrits et non pas montrés, il arrivera qu'on ne ressente pas dans la semaine ou les deux semaines quoi que ce soit d'agréable ou de plus ou moins désagréable avant un renversement. Ils seront heureusement complétés par une pratique sportive hebdomadaire et un contact avec l'eau (longue douche, piscine etc.)

La réappropriation de son autonomie par le système nerveux autonome, peut provoquer de la peur qui est de la même nature que celle de la révolte contre le salariat. Il ne s'agit pas d'agir contre cette peur, de faire figure de non-couard : cette appréhension est conséquencielle, il n'y a qu 'à l'accepter et de composer avec elle de sorte à pouvoir continuer dans la direction qu'on s'est donnée de suivre. Il s'agit d'un soi.

 

le premier janvier 1996